“Il y a sur la terre un être vivant qui a quatre pieds le matin, deux à midi et trois le soir. Seul de tous les êtres, il peut changer de forme, et c’est quand il a le plus de jambes qu’il va le moins vite.”
On dit de cette énigme qu’elle est enfantine : on a tort, car seul Oedipe en trouva la clef.
Posez là à quiconque l’ignore, jamais il n’entrevoit la solution.
Il est d’autres énigmes de la Grèce antique dont le sens nous reste obscur. Ainsi de la légende de Deucalion, roi de Phthia, ville mythique de Thessalie.
Jupiter prend la résolution de détruire par un déluge les hommes de l’âge d’airain. Prométhée, connaissant ce dessein, avertit son fils Deucalion et lui conseille de se construire une arche dans laquelle Deucalion entre avec sa femme.
Jupiter fait tomber des torrents de pluie qui inondent toute la Grèce. Pendant neuf jours et neuf nuits, Deucalion flotte sur les eaux, pour aborder enfin au sommet du Parnasse. Il demande à Jupiter de reproduire le genre humain détruit.
L’oracle de Thémis avait prescrit aux deux époux de jeter en arrière les os de leur mère pour repeupler la terre, énigme qu’ils parvinrent à “deviner” : les pierres sont les os de la terre, qui est la mère des humains.
Jupiter ordonne à Deucalion et à Pyrrha de jeter par-dessus leur tête des pierres derrière eux. Les pierres que jette Deucalion deviennent des hommes, celles que jette Pyrrha se changent en femmes.
Deucalion règne ensuite en Thessalie sur le genre humain renouvelé.
Nous ne comprenons pas cette légende, son dénouement, tout cela reste extérieur à nos sens. Aussi qu’il me soit permis de jouer les Oedipe et de proposer une autre solution à cette énigme, plus satisfaisante pour la réalité de nos sens.
“Jeter en arrière les os de sa mère pour repeupler la terre” ne peut signifier rien d’autre que le bébé qui naît, lequel, en poussant des pieds pour sortir du bassin maternel, “rejette en arrière les os de sa mère” pour, en naissant, “repeupler la terre”.
Deucalion et Pyrrha symbolisent l’aventure fœtale de l’humain, sa naissance. Deucalion, de deuô, “mouiller”, “tremper”, et de als, “mer”, car le fœtus baigne dans une eau marine, n’est-il pas le roi de Phthia, que les Grecs prononcent Phôtia, mot bien proche de fœtus ?
Replaçons les légendes du déluge dans la perspective d’un Deucalion, d’un Noé fœtus et non plus adulte, et tout s’éclaire : les pluies diluviennes sont la mémoire fœtale de la chute des eaux utérines qui précède toute naissance. Un temps très bref pour la mère. Un temps très long pour le fœtus car plus on est petit, plus le temps s’écoule lente-ment : il est des jours qui sont comme des vies.
La chute des eaux précède toute naissance, aussi trouve-t-on la trace d’un mythe du déluge chez tous les peuples de la terre, en Grèce, en Assyrie, en Chaldée, en Perse, en Inde, en Chine, chez les Celtes Kymri, les Scandinaves, les Lithuaniens, les Amérindiens, les Océaniens, etc. : car tous les humains naissent de la même façon.
Ce souvenir d’un formidable déluge s’est conservé chez tous ces peuples avec les mêmes traits essentiels d’une destruction de la race humaine et d’une seule famille ou d’un seul couple, le fœtus donc, sauvé du désastre dans un bateau et repeuplant la terre.
Que peut donc signifier cette destruction systématique de la race humaine, de toute vie qui entoure le sauvé ?
“Je ferai disparaître toute vie sur terre” : la chute des eaux utérines par la mère constitue un bouleversement cataclysmique pour le fœtus, tout son univers disparaît.
Selon les légendes, “la terre corrompue”, “la race humaine pervertie”, sont les causes du grand chamboulement.
On sait que le fœtus se nourrit du liquide amniotique qui l’entoure; on oublie qu’il y rejette ses déchets organiques, cette “terre corrompue”. L’accumulation des rejets urinaires par “la race humaine pervertie” dans le liquide dont il se nourrit menace à terme d’empoisonner le fœtus. Même si ce liquide est renouvelé périodiquement, à terme cette structure n’est pas viable.
Le fœtus n’a pas d’autre choix que d’aller de l’avant : il lui faut naître ou mourir.
La tradition biblique précise que “le déluge ne détruira plus tout être; il n’y aura plus de déluge pour détruire la terre”, car l’humain ne naît qu’une fois.
“Pendant toute la durée de la terre, les semailles, les moissons, le froid, le chaud, l’été, l’hiver, le jour et la nuit, ne s’arrêteront plus” : voilà décrit ensuite la vie que ne connaissent pas les fœtus, mais les humains nés.
Les rabbins prétendent que l’eau du déluge était bouillante; les arabes expliquent ce fait en disant que l’eau sortit d’abord du four dans lequel Eve faisait cuire son pain; pour les mages persans, les eaux diluviales sortaient du four d’une vieille femme; les Syriens allaient jusqu’à montrer la caverne profonde d’un temple consacré à l’une de leurs déesses d’où se seraient échappées les eaux diluviales; selon les mythologies sumériennes et akkadiennes, Zisudra, le Noé local, se voit gratifié après le déluge du “souffle éternel des dieux”, la respiration (?), et transféré dans le pays fabuleux de Dilmun.
Tout ceci est si proche de la réalité !
Une seule famille, un seul couple ou un seul être se voit sauvé du désastre, car dans l’immense majorité des cas, chaque nouveau-né naît unique. Comme ce Noé, en hébreu Noach, de la racine nach, alliée à nâ, “nouveau”, “récent”, dont l’étymologie même montre qu’il est le nouveau-né (à rapprocher de la fête de la nativité, Noël, du latin natalis, natal, de nasci, “naître”).
Le héros des légendes diluviennes de l’Inde se nomme Manu, proche du germanique Mannus, du crétois Minos, du kymrique Menw, de l’égyptien Menès, etc. : de l’homme.
Les récits du déluge relatent la mémoire fœtale de la naissance de l’humain. Il est un autre mythe propre à la vie utérine stricto sensu : la légende du paradis.
Dieu avait planté au commencement un paradis de volupté, dans lequel il plaça l’homme qu’il avait formé.
Le paradis (du persan pairidaeza, “protéger autour”) de la Bible est le jardin délicieux (le ventre maternel, qui protège autour) dans lequel Dieu (la vie), d’après la Genèse (le livre de la formation, de la naissance), plaça Adam et Eve (le fœtus symbolisé).
Adam et Eve sont dits être les premiers humains car il n’est pas de vie humaine avant la vie fœtale.
“Dieu fit pousser du sol toute espèce d’arbres séduisants à voir et bons à manger”, les villosités placentaires,
“et l’arbre de vie au milieu du jardin”, le cordon lié au placenta,
“et l’arbre de la connaissance du bien et du mal”,
la conscience fœtale.
“Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre bras” : le liquide amniotique entoure les quatre membres du fœtus.
Ce fleuve est nommé en hébreu nahar, “fleuve”, à rapprocher du Noach, nach du déluge hébraïque.
Quand à la sortie du paradis, à ces fruits défendus mais mangés de cet arbre de la connaissance du bien et du mal, sans doute relève-t-elle de l’absorption par le fœtus du liquide amniotique empoisonné par son urine.
C’est l’accumulation des péchés, des rejets organiques dans le liquide amniotique, qui provoque la fin du paradis, le déluge.
“Tu peux manger de tous les arbres du jardin.
Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal
tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras,
tu deviendras passible de mort.”
Le “tu mourras” est la connaissance par le fœtus du phénomène de l’amnios empoisonné, le mal, que ce phénomène est lié à celui de l’absorption de la nourriture, le bien, et que ce système fœtal des rejets urinaires dans le liquide amniotique dont il se nourrit n’est, à terme, pas viable.
Lié. Comme ce serpent du paradis dans l’Arbre de Vie, le cordon ombilical côté placenta qui vient se lier au cordon côté fœtus, Eve la nourricière.
Eve, de havvah, hayah, “vivre”, à rapprocher de yaveh, Dieu, la vie.
Ne sont-ce pas les femmes qui nourrissent le monde ?
Le fœtus ne va-t-il pas jusqu’à lécher le cordon ombilical ?
“Tu peux manger sans crainte de mourir, je suis là”, affirme le serpent ombilical au fœtus Adam.
Le souvenir du cordon ombilical, de ce serpent, se trouve aussi présent dans certaines légendes du déluge, comme en Inde où le serpent mythologique Vâsuki assure le salut du fœtus Manu en le guidant.
L’humain a gardé la mémoire de sa vie fœtale.
Les légendes du paradis et du déluge expriment cette mémoire fœtale de l’humain.
Selon la théologie chrétienne, c’est-à-dire selon l’explication du monde par les chrétiens, l’homme aurait été créé immortel à l’origine.
Il aurait perdu cette dignité par la faute contre Dieu du premier homme, Adam. Celui-ci aurait fait entrer dans le monde non seulement la mort, mais aussi le péché. Ce péché originel entacherait toute l’humanité, devenue de ce fait une race pécheresse.
Pour nous en sauver, Dieu nous aurait envoyé son fils Jésus.
Exit cette théologie erronée d’un péché originel.
Exit une immortalité originelle de l’humain, une faute d’un premier homme.
Exit une race pécheresse entachée d’un péché originel,
car la mémoire fœtale de l’humain retrouvée enlève tout fondement à cet égarement.
Jeter en arrière les os de sa mère pour repeupler la terre, la signification de l’énigme est enfantine, n’est-ce pas ? Comme enfantine était l’énigme du Sphinx…
François Dor
Août 2020.
Cette vision nouvelle d’une mythologie, perçue comme récit inconscient de la vie fœtale, a été développée dans un ouvrage fondamental, qui a nécessité vingt années de labeur, publié en février 2011, et intitulé :
De l’Ancien Monde,
Paradis, Déluge, Atlantide :
les énigmes de la mythologie sont résolues.
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